Dans l’univers de Laura Simonati
Laura Simonati est une illustratrice et graphiste italienne et bruxelloise. Après des études à Bolzano, elle arrive à Bruxelles il y a quelques années, curieuse de découvrir la scène artistique de la ville et le monde de l’illustration qui y est particulièrement vivace. Elle y suit un master de communication visuelle à La Cambre (ENSAV), et c’est pour son projet de fin d’études qu’elle réalise Mariedl, une histoire gigantesque. Le voici maintenant devenu un véritable livre, qui se distingue par un graphisme affirmé et un récit aussi passionnant qu’émouvant.
Laura, peux-tu nous raconter l’origine de ton livre ?
Ce livre est inspiré de l’histoire vraie de Maria Fassnauer, dite Mariedl, une femme née à la fin du dix-neuvième siècle dans les Alpes du Tyrol du Sud. C’était une géante, née dans une famille de fermiers. À partir de l’âge de trois ans, elle a commencé à grandir de façon incontrôlable jusqu’à atteindre la taille de 2 mètres 27. Quand j’ai découvert son histoire, elle m’a étonnée, et j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup d’éléments pour créer un récit. En effet, après avoir vécu dans les montagnes, Mariedl a choisi d’aider financièrement sa famille en s’engageant dans un cirque itinérant qui partait en tournée à travers toute l’Europe. Il s’agissait d’un Freak show, ce qui était malheureusement très commun à l’époque : des gens qui avaient des corps différents des standards étaient exposés au public. Je me suis inspirée de son histoire et de son courage pour développer mon livre, en ajoutant des événements et personnages fictifs.
Le personnage de Marield m’a tout de suite plu. Je l’ai trouvée héroïque car elle a choisi d’abandonner un lieu qu’elle connaissait bien et qui la protégeait du reste du monde, de partir dans des territoires inconnus pour aider sa famille. Je voulais aussi développer l’histoire d’une femme un peu naïve qui décide d’abandonner un lieu littéralement trop petit pour elle pour en chercher un autre dans lequel elle pourrait ne pas se sentir différente. On verra que cette recherche n’est évidemment pas simple. Ce qui m’intéressait, c’était aussi de parler de diversité, mais pas de manière explicite.
Quelles ont été les étapes de réalisation du livre ?
Écrire l’histoire a été assez difficile car je savais tout ce qui devait figurer dans le livre pour que le récit fonctionne, et cela faisait vraiment beaucoup de pages. Cependant, je ne pouvais rien éliminer, chaque partie était essentielle pour l’histoire. J’ai dû faire un gros travail pour trouver un bon équilibre dramaturgique.
Le point de départ de ce projet, c’est ma fascination pour l’outsider art, disons l’art produit par des non-professionnels, voire des personnes éloignées de la société, mais aussi pour le folklore. Je voulais travailler sur des territoires spécifiques, et j’ai commencé à ré-explorer le Tyrol du Sud, la région dans laquelle j’ai fait mon Bachelor en Italie. En étudiant le lieu et son folklore, j’ai découvert le personnage de Mariedl et, aussitôt, j’ai su que c’était la bonne direction pour mon livre.
J’ai ensuite cherché le plus d’images possible pour nourrir mon travail. Ce qui me procure le plus de plaisir dans un projet, c’est la recherche iconographique. J’ai fait des recherches sur le territoire, par exemple sur tout ce qui est religieux. Il y a notamment les Krampus, qui sont très caractéristiques de cette région : ce sont de hommes qui se déguisent en diables le 6 décembre et tourmentent les passants.
Ensuite, j’ai recherché des images liées au fait d’être géant : d’autres géants dans l’histoire, mais aussi leurs représentations dans les Freak shows et sur les affiches de cirque. On voit des images très caractérisées, avec toujours les mêmes éléments : une très grande personne à côté d’une autre de taille « normale ». Ensuite, je me suis plongée dans des images liées au Freak shows, comme l’homme-lion ou la femme tatouée, et je m’en suis inspirée pour créer les personnages des amis de Mariedl. J’ai également effectué des recherches sur le fait d’être grand, avec des illustrations du Voyage de Gulliver, ou d’Alice au pays des merveilles quand elle devient immense et déborde de la maison. J’ai trouvé d’autres images comme une représentation de l’Ommegang (un événement folklorique bruxellois).
Après cette phase de recherche iconographique, j’ai commencé à dessiner, à faire des croquis. Je me suis aussi inspirée d’images très éloignées de l’histoire mais qui pouvaient me donner des idées intéressantes visuellement. Ensuite, j’ai fait des recherches purement formelles sur la représentation de Mariedl, de sa maison, ou sur des éléments du décor.
Quelle technique utilises-tu ?
C’est un mélange de digital et de dessin à main levée. La base de chaque image est un croquis à la main, réalisé dans un carnet, au crayon ou au feutre. Quand j’en suis contente, je commence à travailler sur l’image définitive. Je fais alors un tracé, simplement au crayon gris, sans couleurs, pour me concentrer sur la façon dont les formes interagissent sur la page. Ensuite, je dessine séparément chaque forme de l’image, je scanne tout et je monte l’ensemble sur Photoshop. Cela me permet de garder beaucoup de liberté en termes de composition car je peux déplacer les éléments très vite, en élimer et en ajouter, mais aussi changer les couleurs facilement, ce qui n’est pas faisable quand tout est manuel. J’ai trouvé le bon équilibre pour moi, pour garder l’aspect tactile, que l’on voie le trait de la main, mais garder de la liberté et de la vitesse de réalisation. Ce qui ne veut hélas pas dire que je réalise vite mes planches !
Ce livre a été l’occasion d’explorer des univers visuels qui m’intéressaient. Je suis contente que Versant Sud lui ai permis de prendre forme. Pour moi, c’était important de donner une fin heureuse à l’histoire de Mariedl car dans la vraie vie elle n’a pas eu beaucoup de chance. Je voulais rééditer son histoire et lui donner un peu de bonheur.
Retrouvez l’univers de Laura Simonati en vidéo !