Dans l’univers d’Almudena Pano

Almudena Pano est une illustratrice d’origine espagnole qui recouvre d’images les murs de Bruxelles. Quand elle ne peint pas au grand air, elle imagine des histoires subtiles et touchantes, où les émotions paraissent au travers de choses ténues. Histoire en morceaux est son tout premier livre. Elle nous en parle, ainsi que de ses fresques, de kintsugi et de reconstruction de soi.

Almudena, peux-tu te présenter ?

Je viens d’un petit village des Pyrénées, en Espagne. J’ai fait plusieurs formations avant d’étudier l’illustration : design, publicité communication… J’ai travaillé dans ces secteurs mais je n’aimais pas ça. C’est pourquoi j’ai repris des études à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, et là, ça a été le coup de foudre ! Ce sont mes professeurs, Anne Quévy et Bruno Goosse, qui m’ont fait aimer l’illustration et appris tout ce que je sais.

Tu réalises des fresques avec le collectif 10eme ARTE. Comment cela s’est-il mis en place ?

À l’académie, j’ai rencontré Elisa Sartori. Nous sommes devenues très amies et avons fondé ensemble un collectif de fresques : 10eme ARTE. Nos œuvres sont situées dans différents lieux, principalement à Bruxelles. Vous pouvez les trouver près du marché des Tanneurs ; dans l’ancien Recyclart, sur des toilettes publiques à Bockstael ; sur une berge du canal à Neder-over-Heembeek ; à l’Ancienne Belgique ; au Cirque royal… Et aussi sur les murs de Bozar rue Royale : une fresque réalisée pour le Picture Festival.

Ce que j’aime dans les fresques, c’est que ça se trouve dans la rue. Tout le monde peut en profiter, sans devoir rien payer. Ça démocratise l’art. Et puis, travailler à l’extérieur, ça change, quand on a l’habitude de travailler chez soi, toute seule. En plus, il y a des passants qui s’arrêtent pour parler, et j’adore l’aspect social du travail, le fait de le partager avec les gens. À chaque chantier, nous sommes confrontées à des problèmes différents, pour lesquels il faut trouver une solution, et c’est très satisfaisant de la trouver ! Chaque mur est particulier. C’est enrichissant d’échanger avec Elisa, de trouver des compromis, et finalement ça donne une œuvre qui n’est pas exactement ce que j’avais en tête, parce que l’autre y a mis sa patte.

Que raconte Histoire en morceaux ?

C’est l’histoire d’une petite fille qui adore jouer au foot (comme la mienne !). C’est interdit pour elle de jouer à l’intérieur de la maison, mais ce jour-là, comme il pleut, elle le fait quand même et envoie son ballon dans un vase qui tombe et casse. Le livre raconte comment elle va le reconstruire avec sa mère, et comment elle va découvrir de nouvelles choses grâce à ce travail, qui au début était un peu pénible pour elle, mais qui finalement devient une activité qu’elle adore.

Ce livre semble être inspiré par l’Asie, non ?

Il y a une pratique au Japon que j’aime beaucoup : quand les porcelaines ou les céramiques se cassent, ils les reconstruisent avec une colle dans laquelle ils mettent de la poudre d’or [la technique du kintsugi, ndlr]. Ils ne cachent pas les blessures de l’objet, mais lui donnent de l’importance et de la beauté. J’ai trouvé que c’était une métaphore magnifique ! On cherche toujours à cacher les rides, les cheveux blancs, les traits de notre vie, ce qui nous rend différents et qui crée notre histoire. J’aime qu’on donne de l’importance aux blessures des choses.

Comme je me suis inspirée de cette tradition japonaise, je voulais qu’il y ait une correspondance dans les images. J’ai donc fait des recherches dans des livres d’art japonais. J’ai repris l’idée  de ces paysages, parfois brumeux, comme des choses qui disparaissent ; des motifs d’animaux, de végétation. J’ai essayé également que les images, même à l’intérieur de la maison, fonctionnent comme des paysages.

Que voulais-tu exprimer à travers ce récit ?

Quand je travaille sur un livre, je pense d’abord à un sujet dont je souhaite parler, et après, à la manière de créer une histoire autour de celui-ci, sans que ce soit trop frontal.

Parfois, il nous arrive quelque chose dans la vie, quelque chose se casse… Je pense qu’on est tous passés par un moment pareil, que ce soit une rupture, un changement de relation, un accident, ou une nouvelle qui bouleverse notre vie. Il faut reconstruire à nouveau et créer quelque chose d’autre. C’est un peu comme le cheminement du deuil. Au début, on est complétement perdu, on peut avoir un sentiment de culpabilité, de tristesse, tout devient problématique, et on ne sait pas par où commencer. Ensuite, petit à petit, si on est bien entouré, ça devient quelque chose de naturel, quelque chose d’autre, qui n’est pas comme avant, mais qui a aussi de la valeur, parce que finalement, ça fait partie de ce que l’on est, de l’histoire de notre vie.

Dans Histoire en morceaux, c’est la petite fille qui a cassé quelque chose, alors elle ressent de la culpabilité. Mais sa mère ne la gronde pas, elle l’aide à surmonter ça, avec elle. J’ai trouvé ça beau, quand il y ait de la bienveillance, que la mère tienne compte de ce que ressent sa fille. Un lien plus fort se créer entre elles deux.

Je voulais aussi introduire la notion de temps, c’est pourquoi l’histoire commence en plein hiver et se termine au printemps, et également d’espace : au début, on reste à l’intérieur de la maison, et au fur et à mesure, la fillette, curieuse de voir ce qu’il y a sur le vase, devient curieuse de ce qu’il y a à l’extérieur. Il s’agit d’un processus, une construction de soi-même d’abord, puis de son rapport au monde, et après, on peut le partager avec les autres. C’est quelque chose que le lecteur ne verra peut-être pas, mais c’était important pour moi de le montrer.

Retrouvez l’univers d’Almudena Pano en vidéo !