Le monde selon Valentine Laffitte
Valentine Laffitte ne travaille pas ses illustrations au crayon ou au pinceau, mais aux ciseaux. Foisonnement de papiers coupés, couleurs vibrantes… ses planches séduisent par leur beauté et leur singularité. La matière y est très apparente et invite à un rapport sensoriel à l’image.
Cette illustratrice franco-bruxelloise sort son nouvel album, Aux quatre coins du monde. Celui-ci montre les conséquences du changement climatique à travers les yeux des animaux. Il invite à l’empathie et, par le biais de quatre histoires parallèles, donne aux petits lecteurs une perspective globale de notre monde. Un magnifique hommage à tout ce qui vit sur terre.
Quel est le point de départ de la création de ce livre ?
Tout a commencé par une illustration, un paysage dans lequel ours polaires et autres animaux se déplaçaient entre des morceaux de papier blanc. J’avais envie d’écrire une histoire sur la fragilité de ce milieu polaire et les menaces qui pèsent sur lui.
Le projet a évolué : d’un personnage principal (l’ours), on est passé à quatre animaux afin de créer une histoire qui se présente comme une balade du vivant entre différents environnements, climats et écosystèmes.
Un tour de planète en quatre chapitres, dans lequel on part à la rencontre du monde animal et végétal. Il y a une ourse qui nous parle du grand froid, une abeille voyageuse, une tortue qui nous plonge dans le monde sous-marin et enfin l’orang outan gardien de sa forêt.
On parle actuellement beaucoup du réchauffement climatique, mais tu le fais ici d’une façon bien particulière, tant sur le fond que sur la forme. Loin du documentaire classique, il s’agit ici d’évocations, d’impressions, même si tu te bases sur des faits scientifiques. Pourquoi cette approche ?
J’ai travaillé l’écriture et le contenu avec Krystel Wanneau, chercheuse en science politique à l’ULB et à l’université de Laval. Le sujet étant dense, elle m’a aidé à en décortiquer les enjeux pour chacun des personnages et leur relation à leur environnement.
En donnant la parole à ceux qui ne peuvent la prendre, j’ai voulu amener le lecteur à quitter son regard d’humain et à entrer dans le quotidien d’autres habitants de cette planète. J’ai voulu créer un lien et une proximité avec les personnages ; ça permet de revenir à la réalité différemment et de rencontrer l’histoire de l’autre.
Ta technique, fondée sur le papier découpé, semble s’être affinée depuis ton précédent livre, Petite peur bleue. Il y a sur certaines planches un véritable foisonnement organique. Peux-tu nous en dire plus ?
J’ai continué mon expérimentation du collage en jouant encore plus avec l’accumulation de couches de couleurs, de formes et de matières afin de créer plus de relief entre les plans. Je suis allée dans cette direction pour créer du mouvement, mais pour également montrer la pleine puissance et la richesse des différents systèmes avec lesquels nous cohabitons.
La nature est ce foisonnement, je me suis simplement placée en observatrice de ce qu’elle crée, avec mes papiers et mes ciseaux.
Qu’est-ce qui t’inspire dans ton travail ? Quelles sont tes influences ?
Le découpage me permet d’extraire une matière environnante, avec beaucoup de détail et de liberté. Le collage me permet de jouer à assembler, d’utiliser et regarder différemment cette matière. J’aime bien ce mouvement.
De cette même manière, je vais puiser avec beaucoup de curiosité dans des champs artistiques différents : j’aime l’emploi de la couleur par le mouvement fauviste, l’énergie et les couleurs dans la peinture de Bram Van Velde, l’espace et la matière dans la peinture de Mark Rothko, l’art naïf pour ses représentations, l’art brut pour la poésie de la marge et la liberté. Mais aussi les collages de Jockum Nordström, la photographie, la danse contemporaine…
En marge de ton travail d’autrice, tu as monté avec d’autres artistes KidZone, qui propose des activités pour sensibiliser les tout-petits à l’art. Peux-tu nous en parler ?
Par un heureux hasard, on nous a demandé de concevoir un atelier pour les 0-3 ans au Brass, alors que nous avions plutôt l’habitude d’animer des enfants plus grands. Dans la foulée, pour le baby weekend au Wiels, nous avons proposé une installation réunissant des formes et des volumes inspirés de l’univers de Joan Miró. Nous avons été séduites par ce qui se passait.
La démarche est très enrichissante car, en tant qu’illustratrices, ça nous a demandé de penser différemment l’animation et de proposer des dispositifs impliquant le corps, l’espace et les sens. Comme ce sont des médiums que l’on n’a pas l’habitude d’utiliser, le moment de la conception devient aussi un jeu pour nous. C’est vraiment intéressant de voir les tout-petits (seuls, à plusieurs ou en famille) créer leur rapport au lieu, investir l’espace à leur rythme et à leur manière.
Derrière le projet KidZone, il y a la volonté d’inclure davantage les enfants de tous les âges dans ce monde d’adulte, dans les institutions et dans l’espace public. Du fait de leur très jeune âge (parfois quelque mois), ces ateliers nécessitent la présence des parents : c’est donc aussi un moyen de les inviter à venir partager une expérience en famille.
Est-ce que ce travail d’animation influence ta façon de réaliser tes livres ?
L’animation vient évidemment enrichir ma pratique de l’illustration. C’est un autre espace de dialogue, de rencontre et d’expérience avec les enfants, différent du livre mais qui est complémentaire. Ces temps d’ateliers sont inspirants car ils me permettent de continuer de regarder les choses avec leurs yeux et leur intensité.