Dans l’univers de Keith Haring avec Anne Cohen Beucher

Keith Haring était un peintre et un homme hors du commun, au trait vibrant, qui abordait ses œuvres avec une spontanéité et un talent constant. Dans ce superbe album qui invite à la créativité, l’écrivain new-yorkais Matthew Burgess et l’illustrateur muraliste Josh Cochran rendent un hommage joyeux et vibrant à cet artiste parti trop tôt.

Il existe à l’étranger des livres véritablement merveilleux, comme celui-ci, mais pour qu’ils vous touchent, la traduction joue un rôle fondamental. Cette tâche est bien moins simple qu’il n’y parait, car il s’agit de travailler la langue, le niveau de langage, le rythme et la fluidité du texte. Un vrai travail d’orfèvre ! Parce que ce métier est trop peu mis en avant, nous avons choisi d’interroger la traductrice Anne Cohen-Beucher. Elle nous parle de son travail en général, et en particulier de Dessiner sur les murs.

Quel est ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a menée à la traduction de livres pour enfants ?

J’y suis arrivée après de longs détours… Dans une première vie, j’ai travaillé dans le monde de l’assurance et de la banque, entre Paris et Le Mans, pendant plus de dix ans. Ensuite, je suis venue m’installer à Bruxelles, où j’en ai profité pour reprendre des études. J’ai commencé à traduire en 2013, à l’issue d’une reconversion de cinq ans, une fois obtenu le Master de traduction de l’Université Livre de Bruxelles.

Cela étant, la traduction jeunesse était quelque chose qui me poursuivait depuis longtemps. En fait, depuis que j’avais découvert Luis Sepúlveda et son Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler que je rêvais en secret de retraduire pour mes enfants…

En quoi est-ce particulier de traduire pour les enfants (par rapport aux adultes) ?

Je ne suis pas la mieux placée pour répondre à cette question, étant donné que je me consacre principalement à la littérature de jeunesse !

Cela étant, je pense qu’il n’y a pas de réelle différence : on se doit de rester fidèle à l’esprit d’un texte d’origine et on doit aussi au jeune lecteur une qualité irréprochable, car c’est par la jeunesse qu’il fait son entrée dans le monde fascinant des livres.

Qu’est-ce que tu préfères dans ton travail ?

La rencontre. Avec un auteur, avec une histoire, avec une autre culture, avec un monde différent, parfois nouveau, que j’ai la chance d’explorer et que je tente de rendre avec le plus de justesse possible pour les lecteurs francophones.

Quelles sont les difficultés de la traduction littéraire ?

Cela dépend toujours du texte ! (ça, c’est une réponse typique de traductrice !). Et puis, « traduire, c’est trahir » un peu ! (autre maxime dans la profession…) En effet aucune langue n’a d’équivalence parfaite, tout est dans la nuance. Il faut faire des choix, renoncer, et c’est parfois difficile.

Mais je dirais que les jeux de mots et l’humour sont sans doute les défis les plus stimulants. Avec la traduction de textes à contrainte aussi, comme cela m’est arrivé avec un texte jeunesse en espagnol, hommage à George Perec, de R. Muñoz Avia, El signo prohibido (devenu Un son a disparu en français), où une partie du texte était écrite sans la lettre A dans la version originale espagnole et a été traduite sans la lettre E dans la version française, en hommage à sa Disparition. C’était un sacré challenge celui-là !

Quelles sont les langues que tu préfères traduire, et pourquoi ?

Je n’ai pas de préférence, je trouve que chaque langue que je traduis, que ce soit l’anglais, l’espagnol ou le catalan, a ses spécificités, sa beauté, ses difficultés et ses défis propres.
Ce qui compte le plus pour moi, au fond, c’est l’histoire, la manière dont elle est écrite et, outre l’intrigue, son rythme et sa musicalité.

Peux-tu nous parler de Dessiner sur les murs en particulier ?

C’était ma première collaboration avec Versant Sud, dont j’apprécie énormément le catalogue, et j’étais ravie de pouvoir travailler avec eux sur ce projet qui s’inscrit dans leur collection d’albums sur l’art.

C’était un vrai plaisir de traduire ce texte, et avec Fanny Deschamps, nous avons eu à cœur de rendre l’histoire fluide et vivante pour le lecteur francophone, tout en restant fidèle à l’esprit de la version originale.

Connaissais-tu l’univers et la vie de Keith Haring avant de traduire ce livre ?

Oui, tout à fait, je connaissais l’artiste et son œuvre, ainsi qu’une partie de sa biographie. J’avais aussi pu voir plusieurs expositions, dont celle qui s’était tenue à Bruxelles au Bozar en 2019. Mais cet album a été un moyen de me plonger plus précisément dans l’histoire de sa vie.

Quels sont tes prochains projets ?

En ce moment je travaille sur plusieurs albums en espagnols et en anglais, et sur deux romans pour ados en anglais, dont le troisième tome d’une série foisonnante d’une autrice nigériano-américaine (Nnedi Okorafor et sa série Akata). Mais, même si je suis en train de les traduire en ce moment, ils ne paraîtront pas avant 2023 voire 2024, car il y a encore pas mal d’étapes et de travail après la traduction pour que le lecteur ait en main le livre fini.