Dans l’univers de Jeanne Verlhac

Plongez dans les couleurs acidulées des gouaches de Jeanne Verlhac ! Cette jeune autrice-illustratrice, fraichement diplômée, sort son tout premier livre, Abi jette l’éponge, un récit d’apprentissage au ton humoristique. Les illustrations au caractère volontairement imparfait et texturé, les tons pop, la rondeur des personnages et de leur environnement, placent cet album dans un registre naïf et ludique. Jeanne a choisi d’intégrer à son écriture des rimes qui viennent rythmer le texte, et nous amusent en lui conférant un ton décalé.

Nous l’avons rencontrée dans l’atelier collectif Ton Piquant , où elle a déballé ses feuilles, sa peinture et ses pinceaux, entourée d’autres talentueuses illustratrices.

Jeanne, quel est ton parcours vers l’album jeunesse ?

J’ai suivi des études en illustration à l’école Estienne à Paris pendant deux ans. Après avoir voyagé un peu, fait des stages, notamment en graphisme, j’ai repris des études d’illustration à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Quatre ans plus tard, en juillet 2023, j’en suis sortie diplômée. C’est lors de mon jury que j’ai rencontré Fanny Deschamps des éditions Versant Sud, et voilà !

Quelle est l’origine de ton livre ?

Abi jette l’éponge était mon projet de jury de Master 2. Il est passé par de nombreuses étapes. Au départ, je partais d’un texte que j’avais écrit pour un cours de littérature. Il parlait des blessures qu’on se fait au travers du vécu et des expériences, et qui ne disparaissent pas, cicatrisent et continuent à faire partie de nous. Le sujet était un peu dur, et j’ai voulu en faire quelque chose de beaucoup plus léger, tout en gardant le sujet de fond. Je me suis rendu compte que je pouvais en parler différemment, autour du personnage de cette petite fille.

Peux-tu le raconter en quelques mots ?

Abigaël est une petite fille qui se rend compte que, quand elle essaie de faire quelque chose, c’est la catastrophe, ça ne fonctionne pas ! Elle se met à poser un regard négatif sur ce qu’elle fait, elle voit tout comme un échec. Alors, assez rapidement, elle décide d’arrêter TOUT ! Sauf qu’en fait, c’est compliqué d’arrêter tout. On ne peut pas vraiment faire ça…
À l’école, le professeur leur annonce qu’ils vont partir en classes vertes. Abi est désemparée : elle part avec tous ses camarades de classe, elle ne sera pas chez elle, elle va encore devoir faire face à des situations nouvelles. Elle n’est pas du tout rassurée ! Tout du long, elle s’empêche de faire beaucoup de choses. Mais à un moment, les enfants vont devoir faire un cairn [empilement de cailloux, ndlr] tous ensemble. Bien sûr, c’est instable ! Elle essaie et fait tomber tous les cailloux. Pour elle, c’est le drame, et elle s’enfuit. Elle finit par se perdre dans la forêt. Et évidemment, c’est encore pire ! Elle doit se débrouiller seule, elle n’a plus le choix. Elle va expérimenter différentes choses et, finalement, elle s’en sortira malgré tout et fera même la rencontre d’un petit ours, avant de retrouver ses camarades.

De quoi voulais-tu parler à travers cette histoire ?

Le fond du sujet, c’est la vision parfois négative que nous avons sur nos propres expériences. Nous pouvons les voir comme ratées, mais ce n’est qu’un point de vue. C’est Abi qui a décidé que c’était une catastrophe, alors que ce n’est pas forcément le cas. On doit accepter de passer par des erreurs, de ne pas y arriver toujours comme on le voudrait, mais c’est comme ça qu’on pourra arriver à faire mieux, si on en a envie.
J’ai travaillé avec des enfants lors d’ateliers, et je me suis aperçue que, parfois, ils se mettent une pression très forte. Lorsque je leur demande de faire un dessin, pour certains, s’il y a un trait qui dépasse ou une tache, ça devient dramatique, alors que ça fait partie du processus.
Je voulais parler de tout ça d’une manière légère et rigolote, parce que les catastrophes, c’est aussi très drôle. Il faut se laisser la possibilité d’essayer des choses. Abi, je la trouve courageuse, et même inventive. Elle a des idées qui ne paraissent pas forcément logiques, comme quand elle se creuse un terrier pour dormir, mais finalement pourquoi pas ?
J’aime créer des univers comiques et colorés, et je voulais traiter d’un sujet qui pourrait paraitre lourd avec une certaine légèreté.

Le traitement sonore du texte, et celui de l’image, correspondent d’ailleurs à ce ton que tu voulais donner au livre.

J’aime beaucoup travailler l’aspect musical du texte. Je fais des jeux de mots, des répétitions. Quand j’écris des histoires, j’aime me faire rêver autant que j’espère faire rêver les lecteurs. Je veux que ce soit un moment de détente, de rire, que ça leur parle. J’aime amener la légèreté qu’on a parfois du mal à trouver dans la vie. L’aspect comique est donc très important pour moi. Ça passe aussi par le personnage, ses positions… Elle est rigolote, mais aussi très humaine.
L’aspect ludique est quelque chose que je travaille aussi dans d’autres aspects. J’essaie qu’il y ait quelque chose dans la mise en page de pas trop classique, en jouant avec les thématiques du jeu. Ça passe par le mouvement, faire appel à l’esthétique du jeu vidéo… Le ludique s’ajoute donc à l’aspect comique.
Graphiquement, j’ai travaillé pour la première fois directement à la peinture pour ce livre, et ça donnait aussi un côté généreux. Il y avait de grosses couches de peinture sur ma feuille, et moi-même il fallait que je lâche. J’avais envie que mon dessin soit très instinctif, un peu naïf. Laisser la place aux imprévus. Aux ratés.