Rencontre avec Mathieu Pierloot et Giulia Vetri
Certains livres coulent de source. Le silence de Rouge est de ceux-là. C’est un texte particulier pour Mathieu Pierloot, habitué à un registre réaliste et qui a un rapport laborieux à l’écriture. Ce livre-ci, il l’a écrit d’un trait, comme une évidence. Il rêvait de le voir publié en album illustré. Séduite, comme nous, par la qualité de son écriture, Giulia Vetri s’est emparée de ce récit, empreint de gravité et de tendresse, pour l’illustrer. Son univers graphique, riche et sensible, illumine le texte et lui donne une nouvelle dimension.
Nous les avons rencontrés dans l’atelier de l’illustratrice bruxello-italienne pour qu’ils nous parlent de leur démarche créative.
Mathieu Pierloot
À l’origine de ce texte, il y a une image qui m’était venue naturellement : celle d’un loup en costume en tweed, seul au bord d’un falaise. Tout a démarré comme ça. Je me suis demandé : pourquoi porte-t-il un costume ? Que fait-il là ? Pourquoi est-il seul ? À partir de là, j’ai déroulé le fil de l’histoire. Je me suis rendu compte que c’était un loup qui a quitté sa meute, parce qu’il est différent. Il ne mange pas de viande, il est doux, il est tendre. Puis apparait cette petite fille, une nuit sur une plage. Elle se noie. Il la sauve et la recueille. Je dresse alors entre ces deux personnages une relation de parentalité. Cette petite fille va grandir, et finit par quitter le loup qui l’a éduquée et aimée.
Le texte existait déjà dans une première version, entre le conte et le mini-roman, et quand il a s’agit de le publier en album, j’en ai profité pour retravailler la fin. Le texte était très métaphorique et parfois trop crypté. J’ai donc clarifié certains passages, et j’ai aussi élagué un peu pour laisser de la place aux illustrations. Car pour moi, c’était évident qu’il en fallait pour accompagner ce texte
Giulia Vetri
Dès que j’ai lu le texte, je me suis dit qu’il fallait que je fasse ce livre. Je l’ai tout de suite aimé. Je l’ai trouvé doux, délicat. Il s’agit d’une histoire particulière, et c’est le moment juste pour parler de ce type de sujet. Et surtout, je voulais dessiner des loups ! J’avais fait des croquis de loups pour un projet qui n’avait pas pu se faire, alors ce texte arrivait pile au bon moment. Ça m’a parlé tout de suite.
Ensuite, la collaboration avec Mathieu s’est passée facilement, de manière très naturelle. On était d’accord à peu près sur tout !
Mathieu Pierloot
C’est clair que j’avais déjà des images en tête en écrivant. Puis Giulia est arrivée, avec une palette de couleurs qui m’a complètement déstabilisé. Je voyais plutôt des teintes orange, vert, marron… Giulia a commencé à faire des propositions : le bleu et rouge, le personnage du loup, puis celui de Rouge, et cela a tout de suite été évident que c’était exactement ce qu’il fallait faire. C’était ce type d’illustrations qu’il fallait pour ce texte.
Giulia Vetri
J’ai bien sûr tout de suite pensé au rouge, étant donné le titre du livre. Le point de départ pour moi est toujours la palette de couleur. Quand je dois raconter une histoire, c’est la première chose que je choisis car cela donne toute l’ambiance du livre. Ensuite, je fais des recherches dans un carnet : des compositions, les personnages, puis d’autres recherches sur de grandes planches.
Je voulais une vraie différence de texture entre Rouge et le loup. Lui devait être doux, dans la texture de son pelage, et un peu poussiéreux. Le défi était de rendre le loup humanisé, mais pas trop humain non plus, pour que ça ne fasse pas « cartoon », trop caricatural. Je voulais lui garder un côté animal, sauvage.
Mathieu Pierloot
Si le loup avait été debout, comme un être humain, le rapport entre les personnages aurait été complétement différent. Là, il reste à hauteur d’enfant. C’est beaucoup plus doux. C’est un très bon choix.
Giulia Vetri
J’ai dû refaire certaines images trois ou quatre fois pour trouver la bonne version. J’ai utilisé une technique de peintures mixtes pour ce livre. Pour le loup, plutôt des peintures acryliques, du noir et du bleu, en utilisant pas trop d’eau pour garder cet effet de poils un peu sec, plus évanescent. Pour les paysages, j’ai plutôt travaillé avec de l’encre et des écolines.
Mathieu Pierloot
J’ai presque écrit cette histoire malgré moi. Je ne savais pas très bien ce que j’étais en train d’écrire.
Dans le texte, il y a une syncope, un rythme, quelque chose qui s’est imposé et qui est plus métaphorique et plus poétique que l’écriture que je pratique habituellement. C’est un texte particulier, qui me tient vraiment à cœur, et je suis ravi que ce livre existe.