Dans l’univers de Sara Gréselle

Sara Gréselle est une autrice-illustratrice franco-bruxelloise qui crée des livres empreints d’une grande sensibilité. Les lundis de Camille, son dernier album pour enfants, évoque le parcours scolaire difficile d’une fillette. Avec seulement quatre crayons de couleurs (et pas mal de carnets !), Sara Gréselle en a fait une histoire touchante, juste et drôle.

Sara, que raconte Les lundis de Camille ?

Mon livre parle d’une petite fille qui n’aime ni les lundis, ni son instituteur. Celui-ci s’appelle M. Bourgon et il n’arrête pas de lui dire qu’elle ne sait rien faire, qu’elle est invisible, et pourtant c’est une petite fille très créative chez elle, mais elle éprouve une sorte de blocage. À la suite des provocations répétées de son instituteur, elle va pleurer à gorge déployée dans la cour de récré et rencontrer Mme Plumet. Cette prof de musique va déceler en Camille un talent vocal et lui proposer de participer à la chorale de l’école. À partir de ce moment-là, Camille va montrer ce dont elle est capable et reprendre confiance en elle.

Quelle est l’origine de cette histoire ?

Je suis partie d’un souvenir vécu. Dans mon parcours scolaire, il y a eu parfois certains accrochages avec des professeurs. Je me souviens qu’on avait écrit sur mon bulletin « élève effacée », « élève transparente ». Ce sont des paroles extrêmement limitantes et je crois que je voulais, à travers cette histoire, montrer l’impact des mots d’un adulte, d’une figure d’autorité, sur un enfant, et comment une petite fille va dépasser ses propres peurs et surmonter cela pour se comprendre elle-même.

Quelles ont été les étapes de création du livre ?

Le personnage de Camille est né dans une autre histoire, d’une petite fille interagissant avec son chat, un projet qui n’a pas abouti mais pour lequel j’avais fait beaucoup de dessins. Je l’ai repris à l’occasion d’une commande d’illustration d’un cahier pédagogique pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. J’ai alors trouvé une palette de couleurs qui m’a plu et que j’ai reprise pour illustrer Les lundis de Camille.
Au départ, je n’avais pas l’histoire entière, mais plusieurs scénettes me sont apparues. Quand j’écris, ça part toujours du personnage. J’essaie de le faire vivre. Quel fait-il de son temps libre par exemple ? Pour Camille, je me suis inspirée de mon vécu d’enfant. Je dansais avec des foulards, je faisais des concerts devant un public de peluches…

Ensuite, j’ai essayé de trouver à quoi ressemblait le personnage de M. Bourgon. Pour moi, son nom est un mélange de bourru et bougon. Je le voyais obtus, carré, et pas très sympathique, jusqu’à sa chemise aux motifs de carreaux de cahier d’école. À l’opposé, il y a le personnage de Mme Plumet, professeur de musique. Elle est plus aérienne, douce, et va apporter le côté positif de l’enseignement. J’ai trouvé son personnage très rapidement, avec ses lunettes en cœur, une démarche de danseuse, de longue mains…

Dans ce livre, il était important de rester dans la légèreté du trait, car il y a pas mal d’humour, mais aussi de garder des décors minimalistes : il fallait qu’en quelques traits on reconnaisse une salle de classe, une cuisine… Mon travail, c’était d’élaguer tout le superflu. L’idée était de centrer le récit sur les personnages et de laisser le reste à l’arrière-plan.

À travers cette histoire, tu interroges les interactions écolier-instituteur ?

Je voulais montrer deux attitudes très différentes de la part de professeurs. M. Bourgon et Mme Plumet vont, par leurs paroles, soit provoquer chez Camille une perte de confiance, soit un regain de confiance. J’aimais aussi qu’il y ait une touche cruauté chez M. Bourgon. Il y a des adultes bienveillants, comme il y en a de moins bienveillants, et je trouve que c’est dommage d’évacuer cet aspect de la réalité dans les albums jeunesse. Ça doit aussi être montré. Je voulais parler du mal-être scolaire dans mon histoire, et interroger les critères par lesquels on valorise ou dévalorise un enfant. L’enseignement traditionnel privilégie les matières classiques, mais quand on est artiste, comment trouver sa place par rapport à une norme établie comme l’école ? Ce n’est pas toujours simple.